Pour Roger Alingrin

 Élie Barnavi, ancien ambassadeur d’Israël en France raconte cette histoire dans un ouvrage récent (1). Il écoutait de la musique de chambre dans son bureau lorsqu’un soldat de l’armée israélienne s’y introduisit, portant papillotes et franges rituelles jurant avec son uniforme.
- “Beethoven”, lui dit Barnavi.
- “C’est quoi ça” rétorqua le bonhomme.
- “Eh ! bien, Beethoven, tu sais, le compositeur...
- "Jamais entendu parler” trancha le soldat.
- “Tu as bien entendu ce nom à la radio", dit Barnavi...
- "Je n’ai pas la radio, elle n’a rien à m’apprendre. J’ai la Bible et elle me suffit. Tout est dans la Bible. Tout. L’électricité, l’atome, l’avion supersonique. Tout."

On voit ici l’état d’esprit de ceux qu’on appelle les fondamentalistes.

Les fondamentalistes sont ces gens qui enferment leur vision du monde dans une lecture de l’histoire et de ses significations réduite à un support subjectivement pris comme référence exclusive et totalisante. Leur lecture, très littéraliste, repose sur le principe de l’inerrance du Texte sans souci du contexte historique contemporain de la rédaction. Ils rapportent tout au texte, qui rapporte la parole divine, interprétable à l’infini, décourageant le lecteur qui, paresseusement, cherche à retourner aux sources, à une forme primitive, aux fondamentaux, en débarrassant les Écritures de la gangue accumulée par des siècles d’exégèse. Voilà des tentations connues par toutes les religions.

Le judaïsme a connu cette tentation, les humanistes catholiques de la Renaissance, les protestants aussi. Quant à l’islam, nul n’ignore le fondamentalisme wahhabite, le rite le plus obscurantiste du sunnisme, fondé en Arabie au beau milieu du XVIIIe s (2) , qui voudrait instaurer un État islamique, où le Coran et la sunna seraient les seules sources du droit, qui voudrait imposer la charia, pour couper les mains des voleurs, lapider les femmes adultères, et interdire la moindre chapelle chrétienne. Le fondamentalisme devient alors un système, à l’instar du communisme et du fascisme naguère, qui fonctionne comme une iodéologie totalitaire.

Les fondamentalistes sont dotés de la structure psychanalytique du fanatique. Ils défendent une idée, avec une passion aveugle et terriblement simplificatrice. L’idée qu’ils défendent est une, claire, dure. Elle ne souffre aucune alternative. Elle est inébranlable. Le fondamentalisme est une quête obsessionnelle de simplicité et de pureté. Les exemples ne manquent pas. Un Institut biblique de Genève enseigne que tout ce que dit la Bible est littéralement "vrai", que le monde aurait été créé en six jours, qu’Eve aurait bien mangé la pomme : il s'agirait de faits, et non de mythes ou de modes de récit.

Les récits historiques échappent à la critique textuelle. Les fondamentalistes ignorent, ou refusent d'admettre la nécessité de l'herméneutique, qui permet d’accéder à une vérité signifiante plus importante que le support historique. Ainsi, que l'écrivait Paul Ricœur “il faut en passer par la démythologisation des mythes bibliques [...] pour découvrir une vérité impossible à dire d’un simple point de vue scientifique ou philosophique, une vérité impossible à transmettre sans le secours, le détour du symbole et du mythe”. Le mythe est nécessaire. La démythologisation a donc pour fonction une certaine purification de la foi, ramenée à son noyau essentiel, par la dure ascèse des conclusions du savoir scientifique (3).

Certains fondamentalistes ont une influence non négligeable sur les décisions politiques ou le cours de l’histoire. On sait qu'aux USA les protestants évangéliques ont pris une part importante dans la seconde réélection de Ronald Reagan ou plus récemment de Bill Clinton.

Du côté de Jérusalem, la secte ultra-orthodoxe des “gardiens de la cité”, les Netreï Karta, rebelle et antisioniste, fait la fête le jour où la nation commémore ses fils morts en mission, et envoie ses émissaires à Téhéran pour soutenir le président iranien Ahmadinejad dans son projet déclaré de “liquider l’entité sioniste”. Tandis que dans le même temps les chrétiens évangélistes se disent sionistes et se lient aux ultranationalistes religieux juifs qui veulent bouter Arabes et musulmans hors de la ville sainte. Ce mouvement actif et prosélyte, très puissant aux USA, a contribué à la réélection de George Bush en 2004.

A côté de ces machines de guerre, aux moyens financiers et politiques considérables, les croyants qui veulent endiguer ces phénomènes semblent bien isolés.

Ce qui caractérise tous les fondamentalistes fanatiques, religieux, politiques, sportifs etc., c’est leur degré d’aliénation mentale. Ce sont bien souvent, en fait, des analphabètes, que seule intéresse l’action directe. La religion des fanatiques est un prétexte, un outil de pouvoir, au service d’une haine de la modernité, symbolisée par une Amérique impériale. Ils ont en fait le goût pour l’action révolutionnaire. Toute tentative de négociation est vaine. Ils ne veulent rien, ne demandent rien. E. Barnavi en vient à cette conclusion terrible sur leurs motivations : "ils veulent tuer le plus de gens possible, c’est tout."

On reconnaît en eux ces bâtisseurs modernes d'une nouvelle Tour de Babel, qui veulent dominer la terre, titiller les cieux, réaliser leur visée prométhéenne, éliminer ceux qui ne leur ressemblent pas. Ces gens veulent penser l’unité sans la diversité. Ils se font secte.

 

 

Gérard LEROY, le 14 août 2008

 

  • (1) E. Barnavie, Les religions meurtrières, Flammarion, 2006
  • (2) par un chef religieux, Mohammad Ibn ‘Abd al-Wahhâb, et un émir (gouverneur) de la région, Mohammad Ibn Sa’ûd, qui conclurent un pacte instaurant un État Saoudite, cautionné par l’autorité religieuse d’Abd al-Wahhâb. On sait qu’Al Qaida a bénéficié du clergé saoudien, et de l’indulgence de la famille régnante, les Al Saoud.
  • (3) cf. C. Geffré et R. Debray, La religion avec ou sans Dieu, Bayard, 2006.