Avant le IIIe siècle, donc à la veille de la crise hellénistique, qu’en est-il de la liberté ? Autant le dire tout de suite : on n’a pas l’ombre d’une existence d’une problématique autour de ce sujet. Ce qui a de quoi surprendre l’homme de la modernité, qui s’affirme comme fondement et sujet de ses actes. L’homme moderne que nous sommes, ou que nous gémissons d’être, n’entend plus recevoir ses lois ni de la nature des choses, ni de Dieu, mais de lui même à partir de sa raison et de sa volonté. “L’homme n’a d’autre législateur que lui-même” disait J.P. Sartre.

 Le terme de liberté n’a donc pas toujours eu la même acception dans l’histoire de la pensée. Les deux termes liberté et  autonomie sont associés dans la Grèce antique pour définir la condition d’une cité non soumise à une domination extérieure (1). Au IIIe siècle av. J.C., le mot liberté appartient au vocable politique. Il se rapporte à l’expérience concrète de la délivrance. Libre est celui qui est affranchi. La liberté individuelle se rapporte à un statut essentiellement social : l’homme libre est libre par rapport à l’esclave.

 Le mot grec eleutheria (ελευθερια), qui signifie liberté, traduit  encore la liberté d’un État, ou d’une cité, par rapport au voisin. Une cite indépendante est une cité libre. On le voit, dans l’antiquité, la liberté est toujours par rapport à. La liberté est relative.

 Pour Aristote,  le droit des citoyens de se gouverner ne relève pas du principe d’autonomie, mais se fonde sur l’organisation d’une cité au sein de laquelle il y a “ceux qui sont faits pour commander et ceux qui sont faits pour obéir”. Le fondement de la souveraineté réside dans la hiérarchie des natures (au sein du cosmos). Pas dans la volonté humaine.

 Tout a commencé par l’examen du rapport du maître à l’esclave. Plus tard on en est arrivé à dire qu’existe “un pouvoir irréductible d’être à soi-même sa propre cause.” C’est le fait de Dieu, ou de la nature (phusis). C’est le fait d’un être causa sui. “De même que nous appelons homme libre celui qui est à lui-même sa fin et n’est pas la fin d’autrui.” Pour Aristote, l’homme est cause de ses projets et de ses buts.

 La liberté n’apparaissait pas comme un problème pour les Grecs, mais comme un fait de la vie quotidienne, et donc une composante du domaine politique. La question de la liberté aura été la dernière des grandes questions à devenir un thème de la philosophie dont le concept, selon Hannah Arendt, trouve son origine en christianisme. Ce qui est à retenir c’est que, quelle que soit l’époque, grecque ou chrétienne, le mot liberté se rapporte à l’expérience concrète de la délivrance. Dans le christianisme primitif le terme liberté surgit en même temps que l’Esprit de Dieu. Ainsi en 2 Co 3, 17 : “là où est l’Esprit du Seigneur, là est la liberté.”

Qu’en est-il de la liberté dans la tragédie grecque ?

Dans la tragédie grecque, si l’homme est le jouet des dieux il est cependant responsable. En filigrane on aperçoit comme quelque chose de la liberté. Le mot manque simplement.

 La revendication de l’honneur d’assumer ses maux est très présente dans la tragédie de Sophocle. Toute une problématique du droit et des devoirs y est développé (cf. Antigone). Le champ de la liberté pointe à l’horizon des débats, des passions, de la séduction, de la persuasion. L’homme est agi, autant qu’il est agent; l’homme est lucide, ...autant qu'il est aveugle. L’homme est énigme. Et voilà pourquoi il se fait déchiffreur d'énigmes, la première des énigmes étant l’homme lui-même, qu’il ne parvient pas à décrypter.

 La philosophie comme liberté

 Elle l’est dans la mesure où l’exercice de pensée doit être libre. Quel homme est libre ? “Connais-toi toi-même”, l’inscription gravée sur le temple de Delphes, atteste une autonomie, en invitant à réfléchir sur ce qu’on est soi-même. Selon Socrate, alors que le mot liberté n’appartient nullement à la philosophie, l’âme intelligente de l’homme participe du divin. D’où la nécessité de la mieux connaître. Notons que l’inscription de Delphes invite moins à l'introspection qu'à la reconnaissance d'être homme. C’est une opération de désacralisation du monde. L’enseignement est fondamental : “Reconnais ton humanité. Sache que tu n’es pas un dieu, et que tu es mortel. Seuls les dieux sont immortels.” Le statut est différent de celui de la divinité, voilà ce que veut dire en premier l’inscription. Ici commence à s’entrouvrir une porte de la philosophie, comme l’exercice même de l’homme libre, qui veut tout vérifier par une argumentation rigoureuse.

 La liberté chez Aristote

Elle se profile derrière les mots “délibération”, “choix délibéré”, acte par lequel on décide après avoir mûri. Dans Politiques 6, 2-1, Aristote considère la liberté comme principe de base de la constitution d’une cité. C’est la période de la découverte de l’autarcie, notion qui prendra de l’importance dans les philosophies hellénistiques qui suivront.

 Après la mort d’Alexandre et d’Aristote, vers 320 av J.C., s'amorce une grave crise. La liberté de l’homme se transmue en liberté intérieure. La “Seigneurie de soi-même” (Montaigne) permet d’atteindre l’ataraxie —la parfaite quiétude de l’âme—, ou l’ apathéia, soit l’absence de passions. Le stoïcisme, qui s'est développé, affirme alors un déterminisme radical. Le Logos (λογοσ), le Verbe, désigne le principe qui préside à l’organisation rationnelle et harmonieuse de l’univers. Le logos est à connotation divine pour les stoïciens. L’homme peut et doit être libre, bien que tout ce qui lui arrive ne dépende pas de lui. Reste que la seule chose qui dépende de soi c’est la façon d’admettre, de se révolter, d’assentir, de consentir ou de rendre grâce. Le stoïcisme ne prône pas la résignation. Il y éduque ! Nous sommes comme des acteurs de théâtre.  L’acteur n’est libre de rien. Ni de son rôle, ni du texte, ni même de son jeu !

 

Gérard LEROY, le 6 septembre 2008

 

  • (1) cf. Herodote, I, 95-96, VIII, 140; cf. Xénophon, Hellén., III, 1, 20-21.