Pour Ora et Jean-Claude Perez, en hommage amical

   On entend encore le cri de Sabine Zlatin face à la cour d’assises du Rhône, le jour du procès de Klaus Barbie. La cour rappelle alors que 44 enfants, leurs éducateurs et le mari de Sabine, Miron Zlatin, ont été raflés sur l’ordre de Barbie au printemps 1944. Madame Zlatin s’en était allée ce jour-là chercher du côté de Nîmes un hébergement plus sûr pour ces enfants. Face à Klaus Barbie recroquevillé dans sa loge d’accusé, Sabine Zlatin lui a crié : “Ces enfants-là, que vous avaient-ils fait ? Étaient-ce des résistants ? Étaient-ce des maquisards ? Non : c’était des enfants !” 

Pierre Truche, premier président de la Cour de cassation et procureur général au procès Barbie, soulignait que dans cette période atroce de l’Occupation, Sabine Zlatin avait été de ces gens qui ont marqué l’honneur du pays. 

La jeune fille juive avait quitté sa Pologne natale pour étudier l’histoire de l’art à l’Université de Nancy, avant d’épouser un jeune ingénieur en agronomie. La guerre éclate. Sabine Zlatin devient infirmière de la Croix-Rouge, dans l’Hérault. Puis avec son mari elle acquiert une propriété à Izieu, dans l’Ain. Elle lui attribue l’enseigne de « Colonie d’enfants réfugiés ». Elle accueille un groupe d’enfants juifs sortis des camps d’internement du sud de la France.

Après la guerre elle parlait souvent, beaucoup, de cette maison d’Izieu qu’elle avait fondée avec son mari, dans la région lyonnaise. Cette propriété, acquise en 1943, leur avait permis d’accueillir des enfants de 5 à 17 ans, au printemps.

Tôt le matin du 6 avril 1944, Sabine Zlatin quitte la maison d’Izieu, dans l’Ain. Car il lui faut partir à

la recherche d’un refuge plus sûr pour ces 44 enfants menacés par la milice lyonnaise. Quand elle revient, le soir, Sabine est prise d’épouvante. Aucun bruit, aucun cri. Le silence est total. La Maison est vide. Totalement.

Sur les tables du réfectoire, des bols de chocolat du petit-déjeuner que les enfants n’ont pas goûté. Les policiers criminels de la Gestapo sont venus les prendre, sur ordre de Klaus Barbie. Ils ont emporté tout le monde, enfants et adultes. Aucun de ces enfants n’est revenu d’Auschwitz. Ils sont morts, tous, quelques jours plus tard.

C’est au lendemain de ce procès de Klaus Barbie, en 1987, qu’est née l’idée de créer l’Association du Musée mémorial d’Izieu. 

Au printemps 1994, le 24 avril exactement, à 87 ans, Sabine Zlatin accueillait le Président de la République entouré d’une foule de personnalités venues inaugurer le Musée de la Maison d’Izieu. Avec le Président Mitterrand, Madame Zlatin était passée devant chacune des 44 petites pancartes indiquant le nom de chacun des enfants que Barbie avait fait envoyer à Auschwitz. Elles bordent le chemin aboutissant à une fermette toute simple, sise sur les renforts de Bugey. Depuis, des jeunes gens de France et de tous horizons viennent visiter la salle de classe, soigneusement maintenue telle qu’elle était, les dortoirs, le réfectoire. Tout le monde s’attarde, les yeux embués, devant les dessins d’enfants affichés. 

Izieu est devenu un lieu de mémoire. Bouleversant.

 

Gérard LEROY, le 6 juin 2014