Jésus et ses frères

Pour Christine et Gérard Moulin, en hommage amical

   Au deuxième siècle la chrétienté est divisée. Le Protévangile de Jacques, un apocryphe consacré à la vie de Marie et à l’enfance de Jésus défend la virginité de Marie et mentionne des enfants de Joseph nés d'un premier mariage, ce qui ferait d’eux des demi-frères et demi-sœurs de Jésus. Eusèbe de Césarée dans son Histoire ecclésiastique (3, 20,1) parle de Jude, « frère par le sang du Seigneur ». Tertullien, vers 200, affirme que Jésus a eu une vraie mère et de vrais frères (Contre Marcion, 4, 19).

Des doutes subsistent. Comment le fils unique du Père, fils homogène, pourrait appartenir en même temps à une famille nombreuse ?

Jérôme, Père de l’Église au IVe siècle, soutient que les frères de jésus étaient en réalité des cousins. Jérôme qui est un fin linguiste et un hébraïsant, note qu’en hébreu le mot frère — אָח, ach— peut aussi suis bien signifier frère que neveu ou cousin. En passant de l’hébreu au Grec, la traduction de la Septante a systématiquement rendu ach par adelphos (αδελφός), qui signifie indubitablement frère. D'où son usage dans le Nouveau Testament (écrit en Grec) pour les frères de Jésus qui seraient en réalité ses cousins.

D'autre part, dans la Palestine du 1er siècle l'individu ne se comprend pas comme un être autonome, indépendant. La communauté, le village, le clan, constituent le tissu social qui protège et fournit sa légitimité à l’individu. Jésus n'a pas été socialisé dans un cocon familial mais au sein d'un clan. Aussi la fraternité s’étend de façon très large.

D'autres voix suggèrent que le mot frère est  utilisé pour désigner la fraternité religieuse, le frère dans la foi. C'est ainsi que Mathieu en parle en 5,23. Il est vrai que les pharisiens usent abondamment de ce terme. Lorsque l'auteur des Actes parle des disciples rassemblés à Jérusalem après l’Ascension, il dresse le tableau de la toute première communauté formée des 11 disciples et de Marie, la mère de Jésus, avec les frères de Jésus (Ac 1,14).

« Qui sont ma mère et mes frères ? » en parcourant du regard ceux qui étaient assis en cercle autour de Jésus, celui-ci leur dit : « Voici ma mère et mes frères ; quiconque fait la volonté de Dieu voilà mon frère, ma sœur, ma mère » (Mc 3, 31-35). Jésus induit par là une sévère relativisation des liens du sang. L'appartenance à la famille-clan constituait dans les sociétés antiques le facteur fondamental d’identité et de sécurité ; elle dictait à l'individu ses relations, ses loyautés, et ses devoirs.

Gérard Leroy, le 31 octobre 2023

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