Pour Camille Tchéro, en hommage amical,

   En dépit du risque d’aboutir au relativisme et compromettre l’identité de chaque religion, la reconnaissance du pluralisme ne peut être que lucide. La portée anthropologique et morale  de  la pluralité religieuse peut nous aider à décrypter le contenu de l’humain véritable. La culture se doit d’être au service de l’humanisation de l’homme et d’une meilleure articulation entre ses déterminismes ethniques et les valeurs de l’esprit. Elle est en lien avec l’éthique et le religieux, et façonne une véritable civilisation. 

    En s’interrogeant sur l’identité culturelle de l’Europe, on se rend à l’évidence que la civilisation occidentale est impensable en dehors de l’héritage judéo-chrétien. En observant toutes les grandes civilisations, celles qui sont mortes et celles qui subsistent encore, on ne peut que remarquer l’imbrication de la culture et de la religion. Comment dissocier la culture indienne et l’appartenance à l’hindouisme ? Il n’y a pas de mot en Inde pour désigner une philosophie qui soit distincte de la lecture des grands textes fondateurs. Comment parler d’une culture de la négritude en faisant abstraction des religions traditionnelles africaines ? Comment distinguer l’islam comme religion et l’Islam comme civilisation arabo-musulmane ?

    Quant à la culture européenne, son destin est singulier. Aujourd’hui, on ne parle pas seulement d’une culture européenne post-chrétienne, mais d’une culture sécularisée et laïque. Mais il n’est pas absolument certain que la modernisation dans l’ordre technico-économique mondial entraîne nécessairement une stérilisation de la fonction religieuse.

Les traditions religieuses, au contraire, nous aident à lutter contre les dangers d’une mondialisation asociale et monolithique. Nous n’avons jamais fini de discerner ce qui va dans le sens de l’humain authentique. Alors que nous observons plus clairement ce qui est inhumain, et donc intolérable. 

En dépit des perversions historiques, du fanatisme, de l’obscurantisme, et de tout ce qui est au cœur de l’inhumanité, toutes les religions, selon leur dynamisme originel, cherchent, sans doute en tâtonnant, une libération heureuse de leur condition, ce qu’on appelle un salut. Toutes les grandes religions se présentent comme des religions de salut, lequel comporte une certaine exigence éthique.

    Même si leurs divergences, dogmatiques, liturgiques, rituelles, les font apparaître comme inconciliables, la plupart des religions du monde découvrent aujourd’hui leur responsabilité commune à l’égard du destin même de l’espèce humaine dans notre village planétaire. Aussi, cherchent-elles à dialoguer entre elles pour mieux servir l’humanité. Face aux très graves désordres d’un prétendu ordre mondial qui se place sous la tutelle de la loi du profit, le dialogue interreligieux est nécessaire. Parce qu’il est facteur d’une émulation réciproque dans la recherche de la paix, dans la défense des droits humains, dans le combat contre les injustices structurelles du monde contemporain.   

    Ne dira-t-on jamais assez que le dialogue interreligieux risque d’être condamné à  l’impuissance s’il ne tient pas compte de cette référence transversale qui traverse toutes les cultures et toutes les religions, à savoir la conscience humaine universelle. Ce consensus a trouvé son expression dans la Déclaration universelle des droits de l’homme (1948) qui propose à toute l’humanité d’être son bien commun. Au-delà de la diversité culturelle, il y a un consensus quant à certains universaux —qu’on appelle fièrement des valeurs— comme le respect de la vie, la liberté de conscience, la liberté de religion, l’égalité de l’homme et de la femme, la démocratie, ou la notion d’Etat de droit. On observe aujourd’hui l’émergence d’une sensibilité commune à l’humain véritable, à ses droits naturels, aux aspirations fondamentales de toute conscience humaine. 

C’est pourquoi, en regard des religions qui portent atteinte à l’humain véritable, on invite leurs responsables à promouvoir la ré-interprétation de leurs textes fondateurs. Sinon, elles périront, à coup sûr. 

N’allons pas céder la place à cette quasi religion que serait celle des droits de l’homme. Les crimes contre l’humanité dont nous sommes toujours les témoins suffisent à montrer la fragilité de la conscience humaine livrée à elle-même. 

Face à l’avenir d’une civilisation mondiale, on doit pouvoir compter sur cette interpellation réciproque des morales d’origine religieuse et des éthiques séculières.

Gérard LEROY, le 13 janvier 2018