Pour Céline, en hommage amical

Le bouddhisme est entré en Chine sous la dynastie Han (206 av J.-C — 220 ap. J.-C.). Des documents historiques chinois attestent de l’existence, dès l’année 65, d’une communauté bouddhique patronnée par le frère de l’empereur.

Le contexte dans lequel s’est installée la foi bouddhique en Chine, les situations intellectuelle et religieuse de la Chine antérieures à son arrivée, sont utiles à connaître. Dix siècles avant J.-C. les peuples de Chine sont animistes. Leur attitude est en permanence dépendante d’un sacré. L’univers est peuplé de démons, de dieux, d’esprits. Chacun est convaincu que les morts continuent à vivre, disposant d’une plus grande puissance que de leur vivant. Quant à la dynastie régnante, elle vénère ses ancêtres auxquels elle accorde une puissance à hauteur des plus grands dieux. Le roi, d’ailleurs, les consulte avant de prendre une décision importante. Chaque famille, au Xe s. vénère son dieu local.

Il faut attendre le VIe siècle av. J.-C. pour constater un premier surgissement de réflexion philosophique, approfondissant les idées religieuses de la Chine antique. Des écoles naissent. Les deux principales sont le confucianisme et le taoïsme.

 

Confucius (551 - 479)

De son nom originel Kung (sage) - Fu-Tseu (maître), Prénom: Kieou, “petite colline”, en raison d’une petite bosse sur la tête à sa naissance.

Né au moment du déclin de la dynastie Tcheou (Printemps-Automne), d’une famille de nobles ruinée, il reçoit une bonne éducation, approfondie d’une bonne connaissance des usages anciens. À 17 ans il dispense des cours privés. À 19 il se marie. Il a au moins 2 enfants.

Il fonde la première école universelle, devient ministre de la justice peu avant l’an 500, puis il remet sa démission pour s’adonner à une activité littéraire. Il meurt en 479. Son tombeau, à Kiu-Fou, sa ville natale, est lieu de pélerinage.

L’homme est décrit comme doux, gai, affable, et digne. Il aime ses élèves. Il est respectueux et déférent. Il est sobre, mange peu mais bien, et boit de l’alcool. Son vêtement traduit l’ordre. On a noté chez Confucius l’absence d’arrière pensée, de préjugés, d’égocentrisme et d’obstination.

Confucius est sobre et studieux. Il apprécie les livres anciens, l’histoire, les rites. Il aime les antiquités. Il est ému par la musique. Il pêche et chasse, parle peu, s’abstient d’intervenir. Sa devise: “Je transmets, je n’invente rien”. Il est moraliste plus que religieux. Est-il agnostique ? Si son attitude est très éloignée des dogmaticiens, Confucius croit cependant avoir reçu des dieux une mission.

Le confucianisme, c’est l’âme de la Chine

L’humanisme de Confucius est le fond de la pensée chinoise. La littérature de Confucius se compose de cinq canons , qu'on appelle des King, et de quatre livres.

Le King c’est l’essence des choses, les idées, et la loi. Le mot désigne aussi aussi le système nerveux et veineux.

Les cinq King, ou canons, ont été reconstitués au IIIe s. av J.C.

- le 1er king, “Canon des Odes”, exalte l’amour, la coutume, les mœurs.
- le 2è king est une livre d’annales de l’Histoire.
- le 3è king, Yi-King (Ed. Lafont), traite de cosmogonie, de psychologie, d’histoire et de morale. Ce dans ce Canon qu’est abordé la loi du Yin et du Yang. En chacun de nous il y a du feu et de l’eau.
- le 4è king est une philosophie de l’histoire.
- le 5è king, Li Ki est le Canon des rites. Le chapitre 19 est consacré à la cuisine.

Un 6è King, perdu, aurait été celui de la musique, moyen unique pour trouver l’harmonie selon son auteur. L’harmonie, pour Confucius, est l’attitude qui consiste à ne pas aller aux extrémités, donc à se maintenir dans la voie du juste milieu, car l’insuffisance comme l’excès sont mauvais (rappelons que Bouddha lui-même récusait tout autant l'hédonisme et l'ascétisme).

Les quatre Livres

- le 1er livre est un livre de dialogues et d’entretiens
- le 2è est un résumé doctrinal de politique et de morale
- le 3è livre traite de l’Invariable milieu
- le 4è livre, écrit par Mencius, disciple de Confucius, relate les entretiens de Mencius avec ses propres disciples.

Confucius est contemporain d’une Chine divisée en plusieurs états féodaux en lutte pour le pouvoir. Des rois sont débordés par leurs vassaux, des souverains détrônés par leurs ministres, des pères assassinés par leurs fils. Violence, anarchie, désordre participent au développement d’une misère déjà grande. Confucius s'émeut de la corruption dont chacun use et en laquelle il voit la cause du chaos. En réaction il prône un retour à la vertu. Il faut sauver l’homme de son être concret, moral, et dans sa relation.

Il commence par détourner ses contemporains de l’attrait qu’ils cultivent pour les superstitions, ou le surnaturel. Il les appelle à se tourner vers les problèmes vitaux et à la remise en ordre de l’État. Confucius aussi croyait au lien entre l’ordre cosmique et l’ordre moral. Pour lui, le Ciel est considéré comme une force intelligente qui dirige le monde, qui juge et rétribue. C’est donc dans la pratique de la vertu que doit résider la conformité à la loi du Ciel et la solution au chaos politique et social.

Confucius a recours au jen. Le jen est la mère de toutes les vertus, l’ensemble des vertus humaines, c’est l’amour surtout. Il s’agit d’ “aimer les autres comme soi-même”, en s’abstenant de faire à autrui ce qu’on ne voudrait pas qu’il soit fait à soi-même. On retrouve ici la règle d'or de l'éthique.

Le jen suppose un effort personnel. C’est aussi se maîtriser, maîtriser ses passions, ses penchants avides. Le jen implique la formation morale, par la poésie, les arts martiaux, la musique et la danse, etc. Le jen implique aussi la formation politique, mettant en avant de veiller à l’alimentation de tous, à la formation des soldats, et de susciter la confiance du peuple. Le jen implique enfin la formation intellectuelle, afin de savoir ce qu’il convient de faire. Du jen est donc déduit ce qu’on appelle Yi. Yi c’est la justice, mais c’est d’abord retrouver les rites, car la loi est sans cœur. Yi, c’est avoir de la piété filiale, à la base de toute morale. On ne remplit ses devoirs envers le souverain qu’après avoir appris à servir ses parents. La famille doit être une école de civisme. Yi, c’est une attitude à l’égard de la famille, puis de l’entourage. Pour que la société soit en ordre. “Un bon fils ne peut pas être rebelle”. Le Yi c’est le savoir-vivre. La politesse, fait remarquer Confucius, fait s’estomper les conflits. Edgar Morin n'est pas éloigné de Confucius quand il écrit que "la courtoisie est la face individuelle de la civilité." (1)

L’homme qui pratique vraiment le jen est k’iun-tseu (homme supérieur, princier). C’est le gouvernant idéal, souverain mandaté par le Ciel et censé être le père de tous ses sujets. Comme Platon, qui envisagera un gouvernement composé essentiellement de philosophes, Confucius souhaite que les rois soient des sages. Et il estimait que le mal de son époque venait de princes négligeant les rites anciens, et usurpant leurs titres. C’est pourquoi Confucius a préconisé le retour aux anciens rites et qu’il a appelé à la “rectification des noms” : que le souverain se comporte en souverain, le ministre en ministre, le sujet en sujet, le père en père, le fils en fils, alors naîtra un ordre social harmonieux, équilibré, où chacun assurera les responsabilités et les devoirs conformes à sa place. Aux princes qui inclinaient vers une politique de force, les disciples de Confucius leur opposeront la théorie du gouvernement par la vertu.

Le confucianisme, établi comme religion officielle un siècle et demi avant J.-C., bénéficie de la participation de ses lettrés au gouvernement pour participer à une organisation sociale et politique à leur goût, c’est-à-dire hiérarchisée et centralisée, donnant à l’empereur d’être le reflet de l’ordre cosmique et par voie de conséquence de tenir la place au sommet de la hiérarchie. L’univers est alors régi par un “Ciel qui engendre, une Terre qui nourrit, un homme qui parachève”. Le Culte du Ciel, revient à l’empereur comme Fils du Ciel, le culte de Confucius est réservé aux disciples, et le culte des ancêtres est pratiqué par toutes les familles chinoises, devinrent alors des cultes sanctionnés par l’État.

Le Taoïsme

On présente traditionnellement Lao-tseu vieux maître”, comme l’aîné de Confucius, d’une vingtaine d’années environ. La tradition chinoise accorde à Lao-Tseu la paternité du Tao-tê-king, le Livre de La Voie et sa vertu, qui fut composé avant le début du IVe siècle av. J.-C. Lao Tseu, comme tant d'auteurs de cette époque chaotique, engage les gouvernants à se bien conduire.

Les supports de ce livre sont des écailles de tortues ou des os de bœuf qu’on a gravées. Les écailles de tortues servaient aussi pour des actes divinatoires. Ainsi, pour savoir si l’on pouvait partir en expédition, se marier, prendre contact avec un pays voisin, on passait l’écaillle de tortue au feu et on consultait ensuite les craquelures. Ce procédé n'est pas sans rappeler l'usage des ordalies au Moyen-âge. Ces écailles de tortues retrouvées ont permis d'identifier avec sûreté le nom des dynasties et des souverains de la Chine archaïque et classique.

Le Tao-tê-king est le livre de base du Taoïsme. Le Tao est l’origine de toutes choses et de tous les êtres de l'univers. C’est le principe cosmique immanent à tout ce qui vit, à l’homme et à la nature. Le est son agent efficace, sa vertu (2).

Le Taoïsme est une sorte d’évasion spirituelle, contemplative, au moyen de l’art et de la poésie, délaissant la philosophie qui n’intéressait plus que des cercles fermés. En fait, le Taoïsme s’est développé sous les Han en un mouvement religieux. Laissant au confucianisme d’État de s’occuper du problème de l’homme dans la société, le taoïsme proposait une religion de salut personnel, grâce à un panthéon de divinités fortement hiérarchisées répondant aux besoins de dévotion du peuple.

Pénétration du bouddhisme en Chine

Elle a été difficile. D’abord au plan linguistique. Le Chinois s’écrit en idéogrammes, les textes bouddhiques des missionnaires venus d’Asie centrale sont en sanscrit, avec des déclinaisons, une conjugaison. Les Chinois sont incapables de comprendre l’abstrait sanscrit. Les difficultés sont aussi psychologiques. Les Chinois concevaient les hommes comme des individus concrets, et répugnaient à les réduire, à la manière bouddhique, à des éléments impersonnels, à des dharmas. Les Chinois étaient attachés à la vie, désirant la poursuivre au-delà de la mort et ne comprenaient pas la proposition bouddhique d’un nirvâna qui ne promet rien d'autre que l’extinction totale de vie. Enfin les difficultés si situaient sur le plan philosophique. Le bouddhisme ancien, du Petit Véhicule, apparaissait radicalement à l’opposé du confucianisme des Han. En effet, le confucianisme prônait la perfectibilité morale des hommes comme indispensable à l’instauration d’un ordre social harmonieux, alors que le bouddhisme qui pénètre en Chine vers la fin du Ier siècle propose un salut par l’anéantissement de la soif de l’existence. Et ce au moyen de pratiques de respiration et de méditation pour aiguiser les facultés mentales en vue de l’extase.

L’introduction du Grand Véhicule se réalise vers la fin IIe siècle de notre ère. Après l’effondrement de la dynastie des Han en 220, le confucianisme cesse d’être la religion d’État. La Chine entre alors dans la période trouble des Ts’in. La Chine est conquise par les barbares, qui ont saisi l’intérêt de lier avec le bouddhisme. Ces barbares sont tibétains, descendants des Han, des Mongols etc. Surgit alors un regain intellectuel et philosophique en faveur de l’étude d’un mouvement qui tentait de concilier taoïsme et confucianisme.

C’est dans cette ambiance d’effervescence intellectuelle animée d’inquiétude spirituelle que se réalise la pénétration du bouddhisme, d’abord au sein des milieux cultivés de la Chine, avant de s’étendre aux communautés laïques vers la fin du IIe siècle. Au IIIe siècle les Chinois entrent carrément dans la religion bouddhiste. Les chapelles s'agrandissent, elles se transforment en monastères pour permettre aux moines d'y résider, elles se multiplient. Du IIIe au VIe siècle, grâce à des conditions historiques exceptionnelles, le bouddhisme s’acclimate définitivement en Chine. En dépit de l’essai de conciliation entre le bouddhisme et le taoïsme qui a porté le nombre de temples à 30000 au VIe s., et développé le nombre de moines et de nones, la sensibilité culturelle chinoise restera toujours plus confucianiste que bouddhiste.

Le bouddhisme tibétain se réclame du Grand Véhicule. C’est depuis le VIIe s. le terrain d’épanouissement du tantrisme, courant hindou né en Inde vers le IVe siècle.

D’où vient ce mot ? De tantra, qui désigne l’ensemble des fils du métier à tisser. Cette métaphore s’applique aux textes doctrinaux du bouddhisme grossis des formules et des rites mystico-magiques propres à ce courant. Le tantrisme est parfois considéré comme la troisième voie du bouddhisme, préférable par son efficacité pour parvenir à l’état d’éveil.

Les rites du tantrisme sont complexes. Les gestes sont définis, les accessoires multiples, l’encens abondamment présent; les formules —appelées mantras— s’adressent à un panthéon de divinités qui personnifient le cosmos, l’énergie etc. Les chefs spirituels qui accompagnent avec compassion tout individu sur son chemin spirituel s’appelle des lama. Le dalaï lama est un “grand (océan)” lama.

Les écoles religieuses tibétaines insistent sur le respect des règles monastiques, et introduisent la philosophie bouddhiste en amont des pratiques tantriques.

La France compte aujourd'hui environ cent cinquante centres tantriques. La charisme médiatisé du dalaï lama a assuré ce succès. Frédéric Lenoir, Directeur du Magazine Le Monde des religions, explique dans sa thèse sur le bouddhisme en France (Fayard, 1999), que le bouddhisme tibétain apparaît comme “résolument moderne”, en ce qu’ "il est centré sur l’individu et sa propre expérience, qu’il prône la tolérance, et qu’il séduit aussi par son pragmatisme et son caractère rationnel".

Un mot sur le bouddhisme au Japon

Le Japon reçut le bouddhisme après la Corée, par deux missions au VIe s. Les Japonais nommèrent cette religion le Shintô, distinguant la voie des dieux ou des êtres surnaturels, de la voie du Bouddha. Le shintô vénère le soleil, la lune, le tonnerre, les montagnes, les volcans, mais aussi le riz, la fertilité etc...

Les écoles bouddhiques chinoises ont ensuite pénétré au Japon par vagues successives, jusqu’au milieu du VIIIe siècle. Aujourd’hui l’étude du bouddhisme est pratiquée dans toutes les universités et près de 50 millions de Japonais adhèrent à l’une ou l’autre des nombreuses écoles bouddhiques.

À la différence des moines chinois qui observent le célibat, les moines japonais, à l’exception des maîtres Zen et des abbés des monastères, sont en général mariés.

 

Gérard LEROY

  • (1) Edgar Morin, Éthique, La méthode 6, Seuil, 2004
  • (2) "Le Tao [...] on peut l'atteindre non par intelligence discursive mais seulement par une sorte d'intuition mystique. Pour l'évoquer, l'auteur [...] le compare à un bol que le liquide ne comble point, à un abîme sans fond; [...] à la mère, symbole à la fois de passivité et d'activité créatrice. [...] Le Tao agit sans agir, il ne fait rien, bien que tout soit fait par lui. Le non-agir devient ainsi la règle de conduite pour celui qui vit en conformité avec le Tao, [...] éloigné de tout désir de violence ou de rivalité[...]. cf. Lao-tzeu, La Voie et sa vertu, Tao-tê-king, texte chinois présenté et traduit par François Houang et Pierre Leyris, Éditions du Seuil, coll. Points, 1979, p. 18 de la première édition.