Pour Amalita Zarate, en hommage amical

   Une question a surgi lors d’un débat qui a fait suite à un exposé sur le sacrifice d’Isaac : “quel lien existe-t-il avec l’épopée de Gilgamesh ?

Ne décelant pas le souvenir d’une quelconque relation entre le chapitre 22 du Livre de la Genèse et le récit sumérien que ma mémoire rattachait plutôt au récit du déluge, j’ai consulté mes cahiers !

Gilgamesh est un roi légendaire de l’île persane de Kish. Son épopée est représentée par une série d’épisodes indépendants. On a retrouvé dans la bibliothèque d’Assurbanipal une œuvre assyrienne unifiée en douze chants, en écriture cunéiforme qu’on possède par ailleurs en vieux babylonien et en traduction hittite.

Ces chants racontent les exploits de Gilgamesh et de son ami Enkidou, dont la démesure prépare leur chute. Enkidou meurt. Gilgamesh part pour un long voyage qui le mènera au-delà des portes du monde, jusqu’à une île où réside son ancêtre qui jouit du privilège de l’immortalité, après avoir survécu au déluge. Gilgamesh franchit une vallée profonde où le dieu solaire, Shamash, disparaît chaque soir. 

Gilgamesh est contraint d’expliquer le but de son voyage à deux gardes de la vallée, leur avouant qu’il s’apprête à franchir les monts pour rejoindre le bord des eaux de la Mort. Mais une cabaretière divine, dénommée Sidouri, tente de décourager Gilgamesh de poursuivre son voyage. Gilgamesh lui répond en se lamentant sur la mort de son ami Enkidou :

“Enkidou que j’aimais tant, qui avait avec moi affronté toutes les fatigues, s’en est allé (...). Jour et nuit j’ai pleuré sur lui, [croyant] que mon ami se relèverait à mes cris (...). Depuis lors, je ne trouve plus de vie (...). Ô cabaretière ! puissé-je ne pas voir la mort que je redoute !”

La cabaretière répondit alors à Gilgamesh :

La vie que tu poursuis, tu ne la trouveras pas. Lorsque les dieux créèrent l’humanité, c’est la mort qu’ils lui ont donnée, gardant la vie pour eux (...). Fais bombance, jour et nuit, fais-toi un jour de fête jour et nuit, danse, amuse-toi (...), que ta bien-aimée prenne du plaisir sur ton sein ! Tel est le lot de l’humanité.”

Ces considérations désabusées sur la condition humaine, assorties d’hédonisme, n’empêche pas Gilgamesh de poursuivre son projet. Il franchit les eaux de la Mort, parvient jusqu’à l’île où réside son ancêtre Outa-Napishtim qui raconte à Gilgamesh comment il s’est tiré vivant des eaux du déluge pour accéder à la divinisation, et comment Gilgamesh doit procéder pour trouver la plante de vie. 

Gilgamesh, en connaissance de ce qu’il doit faire s’en retourne, jusqu’à atteindre la plante de vie qui lui est subtilisée par un serpent.

Notre héros mourra donc. Aucun espoir n’est permis.

Si cette épopée, extraite de la littérature sumérienne, évoque le déluge auquel a survécu l’ancêtre de Gilgamesh, elle peut être rapprochée du chapitre 2 du Livre de la Genèse qui met en scène Adam et Ève attirés par l’Arbre de la connaissance du bien et du mal, symbolisant le drame du choix, en présence du serpent (Gn 3, 1) auquel le rédacteur attribue la puissance du mal.    

 

Gérard Leroy, le 27 janvier 2017